Échanges et impressions
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Dans
la petite ville de Consolacion del Sur :
Constatant que nous avons
seulement pris ces deux portraits, on a entendu certains dire : « Il
y en a que pour les noirs! »
Il ne nous appartient pas de porter un jugement entièrement positif ou négatif sur l'État cubain. Par contre, il nous a semblé que, malgré quelques critiques, les cubains, dans leur grande majorité, sont favorable à leur régime. En général, on les a trouvé assez bien au courant de la situation mondiale et de la misère dans leurs pays voisins.
Vous aurez ici un petit échantillon de ce qui nous reste en mémoire de nos multiples échanges avec ce peuple sympathique.
En pédalant, nous rencontrons un menuisier qui allait rendre visite à ses vaches. Il vend ses yaourts à Playa Larga.« La propriété privée n'existe pratiquement pas, le terrain de la maison, ainsi que les vaches ne peuvent se vendre sauf à l'État. C'est bon et cool de vivre à Cuba. Chez vous il y a peu de gens très riches et beaucoup de gens pauvres». Notre discussion avec le négociant au noir étant frais, on lui pose la question sur la contrebande. Ne perdant pas son sourire, avec son langage croustillant, il dit que les négociants, ainsi que les voleurs, sont « tout petits » ici. l'État ne permet pas qu'il se développent et grossissent.
Nous avons fait un bout de chemin avec un cycliste nommé Daniel, mécanicien de vélo de 8H à 12H et professeur de physique et mathématiques pour adultes de 20H à 23H, 5 jours par semaine ! Pour lui, les gens sont plutôt pour ce régime. Il dit que pas mal de ceux qui sont contre partent et ne reviennent plus. C'est au bout d'une heure de discussion, et du bout des lèvres, qu'il nos apprend être un militant de base dans sa petite ville.
Et aussi, un maçon à vélo, pressé car il avait une réunion politique à 17H : « pour bien vivre il faudrait gagner 600 à 700 pesos », lui, il ne gagne pas plus de 350/400. « Ceux qui sont contre le régime représentent des groupuscules, même pas 5%. C'est le système qu'il nous faut, et nous en sommes contents ».
A l'approche de Trinidad, un cavalier s'exprime ainsi: « Je suis très contents de vivre ici, bien que je ne connaisse pas ailleurs, je sais de quoi il en retourne ».
Un mécanicien qui était en train de remplacer le moteur d'une grosse américaine (Chevrolet) par un moteur russe d'une Volga, chez l'un de nos logeurs. A 67 ans, il avait gardé toutes ses facultés (notamment avec une dextérité impressionnante, il nous a percé la tige de notre drapeau pour la réparer, après que son apprenti de 23 ans s'est déclaré vaincu devant la tache). Il nous raconte qu'il avait été envoyé en Angola. Pour lui, depuis quelques années, la situation s'améliore beaucoup. Voici quelque uns de ses propos : « Les cubains sont de plus en plus élégants. De quoi a t-on besoin pour vivre? Santé, alimentation et un abri, à Cuba, il y a tout ça ! », « Nous pouvons faire ce que nous voulons. Avant la révolution on était aveugle. Fidel ne garde rien pour lui ».
à
défaut du mécanicien, voici la fameuse « Chevrolet »
!
Ou encore cette grand-mère de 80 ans, rencontré dans une autre « casa particular », très vif d'esprit et assez bien au courant de se qui se passe dans le monde. Son défunt mari était administrateur dans une fabrique de tabac et avait beaucoup aidé le guérillero Fidel Castro dans sa lutte dans le maquis. Elle était contente pour le Vénézuela. « Avant Castro les hauts dirigeants s'en mettaient plein les poches »dit-elle (il fallait la voir faisant des grands gestes fourrant énergiquement ses mains dans ses poches pour bien illustrer ses propos). Auparavant, son fils, c'est-à-dire notre logeur du jour, avait remarqué que Ferey était né en Iran (dès l'arrivée, les casas particulars officielles réclament les passeports pour remplir leurs cahiers). Et voici qu'il n'a plus de cesse de l'appeler « Irani ». En abordant la crise du nucléaire iranien, il lui dit, tout en rigolant: « Les américains sont en train de vous menacer, mais vous pouvez compter sur le soutien de Cuba, en tant que pays anti-impérialiste ! »
A les écouter on comprend que la situation s'est grandement améliorée depuis 10 ans (après la “période spéciale”, nom que donnent les Cubains à la lourde crise économique qui a touché le pays au début des années 90 à la suite de la perte de son partenaire commercial privilégié, l'Union soviétique et le bloc de l'Est ainsi que du renforcement du blocus économique par les États-Unis). Malgré le blocus et l'acharnement des américains pour détruire ce système, ils ont su résister et continuent à lutter, il y a beaucoup de CDR (Comité de Défense de la Révolution). Les récents accords avec le Vénézuela, étendus à la Bolivie après la victoire récente de Morales, laissent la porte ouverte pour l'avenir (Sur la route entre José Marti et Sandino il y avait beaucoup de pancartes, genre : « Hugo Chávez y Fidel Castro sola una bandera », Nous avons appris par la suite que Chávez venait de financer une construction (à vrai dire, j'ai oublié quoi au juste !) dans la ville de « Sandino » à son passage récent par là).
A la Bajada, un guide nous dit aussi que la situation s'est améliorée depuis une dizaine d'année, et continue sur une bonne pente. Ce guide est agronome, il va avoir 30 ans. Son métier est avant tout de faire des études environnementales. Actuellement il est sur un projet d'étude de 8 ans dirigé par l'université de la Havane. Son sous-directeur, qui vient de passer 22 jours en France tient à nous parler en français. Nous en profitons pour « élargir » la discussion et lui demander la permission de faire les 50 kilomètres jusqu'à la pointe extrême (Las Tumbas) avec nos vélos. Mais sans résultat, ce chemin n'est ouvert qu'aux touristes accompagnés d'un guide. Et il n'y a pas un guide assez fou pour faire 100 Kms dans la journée à vélo.
Ailleurs, nous avons rencontré un médecin qui était plutôt critique vis-à-vis du régime. Son salaire était de 850 pesos, parmi les plus hauts de Cuba.« mon salaire n'est pas suffisant pour vivre, avant la chute de l'union Soviétique on croyaient que l'on était un pays développé, or on était fragile comme une bulle ! Le gouvernement mise trop sur l'éducation, or il nous faut aussi des paysans. Puisque le gouvernement réduit la surface des champs de cannes à sucre, il y a des champs abandonnés ». Il n'est pas difficile d'imaginer que son homologue, ou son copain parti depuis longtemps, roule sur l'or aux États-Unis.
La liberté?
Dans les articles de presse, où même dans mon guide, il est écrit que le problème à Cuba est « le manque de liberté fondamental »1. Pour moi, la liberté fondamentale est avant tout : avoir le ventre plein, la santé et un toit. Sans cela, il ne peut y avoir de liberté! Les cubains nous disent qu'à Cuba, il y a tout ça!
J 'ai constaté beaucoup de liberté dans leur vie quotidienne. Nous même, nous avons joui de beaucoup de liberté dans nos mouvements (avec le seul bémol : dérangement des rabatteurs dans les sites très touristiques). Nous ne nous sommes pas gênés de nous balader à pied dans les petites villes de province, même la nuit, et bien que les rues sont souvent dans le noir, puisque non-éclairées (à signaler que cette lumière « naturelle » nous a bien plu, entre autres, cela nous a permis de nous régaler des ciels magnifiques). On n'a jamais eu d'accrochage avec les cubains et jamais ressenti d'agressivité chez eux. Il n'est pas difficile de voir que ce sentiment de sécurité est partagé par les habitants : par exemple beaucoup d'enfants non-accompagnés, à pied ou à vélo, sur le chemin de l'école.
On a aussi remarqué que certains cubains portent librement des tee-shirts ou casquettes avec des inscriptions que l'on peut juger « choquantes » pour le régime: drapeau américain, FBI.
Nous avons pu constater que la police est là mais discrète et amicale envers les cubains, par exemple dans les fêtes populaires. La seule occasion où les policiers nous ont abordé a été pour nous proposer leur aide. Nous étions arrêtés au bord de l'autoroute, à cause d'un petit problème de chaîne.
Il y a un vrai mélange des populations quelque soit la couleur de peau, pas de ghettos noirs. Les jeunes adolescents se fréquentent sans tabous.
A la Bajada, nous avons liés connaissance avec une fille qui fréquentait un hollandais artiste peintre. Nous avons pris notre repas du soir dans cette famille et avons admiré les tableaux, parfois peints sur les murs de sa maison. Elle attendait son visa de séjour hollandais. Elle nous dit qu'elle aura du mal à se faire à la vie hollandaise, elle pense faire 3 mois là bas, 3 mois ici. Elle a une petite fille de 6 ans, elle nous dit que les filles ont des enfants très jeune ici, pas besoin de se marier pour ça. Elle-même a « renvoyé » le père de son enfant (celle que vous voyez de dos, se tournant de l'objectif par timidité).
L'ouverture au tourisme et les problèmes que cela entraîne
Une jeune étudiante en médecine de 23 ans nous dit qu'elle (bien qu'étant encore une gamine à l'époque) a été très marquée par les propos de Castro en 1991, c'est-à-dire après l'effondrement de l'URSS, lorsqu'il a déclaré franchement leur absence de choix :« nous sommes pris à la gorge ». C'est à partir de cette époque là que le régime a permis progressivement, la circulation du dollar dans le pays.
L'introduction du pesos convertible (qui par la suite a remplacé le dollar) et la grande différence de valeur avec la monnaie nationale n'est évidemment pas sans poser de problèmes.
Les cubains au contact des touristes gagnent beaucoup plus d'argent que le reste de la population. A titre d'exemple, pour une nuit dans une casa particular nous donnions en moyenne 40 pesos convertibles (nuit pour 2 personnes, 2 petits déjeuners, 2 repas du soir) c'est à dire l'équivalent de 1000 pesos national, ce qui est supérieure au salaire mensuel d'un médecin (850 pesos) !
Par contre un musicien, jouant 3 ou 4 soirs dans l'orchestre d'un hôtel pour les touristes, gagnait 65 pesos convertibles par mois (1600 pesos national). Sachant que les plus hauts salaires ne dépassent pas 1000 pesos, nous trouvions dérangeant que certaines personnes s'enrichissent à ce point par notre fait (il est vrai que nous aurions préféré verser ces sommes directement au gouvernement afin qu'elles soit mieux distribuées). Pour compenser, l'État taxe les casas particular. A ce propos, on nous a dit que la taxe est de 130 pesos convertibles, mais cela dépend aussi des régions. Quelqu'un nous a indiqué que les propriétaires peuvent « s'arranger » avec l'inspecteur pour que cette taxe ne soit pas trop élevé.
Cette trop grande différence de valeur, entre les deux monnaies circulant en même temps dans le pays, entraîne la prolifération de personnes préférant chômer et vivre « au frais des touristes » (entre autres comme « rabatteur »). Il y a aussi des enfants qui réclament auprès des touristes un pesos convertible (surtout dans les endroits « touristiques », comme la vieille Havane et Trinidad), ce qui déjà représente plus que le salaire journalier de leur père (le salaire mensuel minimal doit être de 250~300 pesos national).
Pose
pour les touristes sur la place de la cathédrale
En résumé, je trouve que cette situation n'est pas très saine, et peut-être intenable à long terme.
Écologie
L'effort pour les économies d'énergie est visible : incitation très forte à utiliser des ampoules à économie d'énergie (présentes dans toutes les habitations où nous sommes passés), nous avons même croisé quelques grands panneaux « publicitaires » incitant les habitants à respecter/sauvegarder la nature, et vu quelques panneaux solaires.
Four
solaire dans le restaurent du jardin botanique du Parque Lenin de La
Havane
En guise de conclusion, nous avons conscience que ceci est forcément un compte-rendu partiel et partial, puisque basé sur une expérience bien limitée dans l'espace et le temps. Mais si on adopte le critère de Nelson Mandela2, à savoir, que l'on voit l'efficacité de l'action d'un gouvernement à la façon dont vivent les plus pauvres, pas les plus riches, je dirai qu'à Cuba, il m'a semblé que le gouvernement fournit l'essentiel à tous les habitants (la nourriture, un toit, l'éducation et les soins médicaux gratuits).
Quant à pouvoir satisfaire tout le monde ...
1Loneley Planet, 2005, p. 37
2d'après mes vagues souvenirs de son livre « Un long chemin vers la liberté »